La réforme de l’orthographe en question : réformer ou déformer la langue française ?
Alexandre NAJJAR
L’Orient–Le Jour, Lundi 14 mars 2016Le tollé provoqué en France par l’adoption de la réforme de l’orthographe est-il justifié? Faut-il saluer cette «révolution» qui concerne aussi le Liban où l’usage du français est courant et où plus de 65% de nos écoles ont le français comme deuxième langue ?
Tout a commencé avec l’annonce de la parution prochaine de manuels scolaires adoptant la réforme de l’orthographe décidée en… 1990 par le Conseil supérieur de la langue française à la demande du Premier ministre de l’époque, Michel Rocard. Publié au Journal officiel du 6 décembre 1990 et dans le Bulletin officiel de l’Éducation nationale en 2008, le rapport initiant la réforme n’avait pourtant pas suscité l’enthousiasme et était resté lettre morte. En décidant, en novembre 2015, l’application de ces « rectifications orthographiques » pour les proposer aux enseignants et aux écoliers à la rentrée, le Conseil supérieur des programmes et des éditeurs de manuels scolaires ont provoqué une violente polémique, attisée par les clivages politiques, les uns reprochant à la ministre française de l’Éducation de soutenir cette révolution « subversive », les autres prenant la défense de Najat Vallaud-Belkacem, au motif que cette réforme ancienne, approuvée à l’époque par les plus hautes instances culturelles, devait s’appliquer tôt ou tard. Parmi les réactions les plus remarquées, celles de François Bayrou, qui a déclaré qu’« il devra se lever tôt, le ministre qui voudra m’obliger à écrire » il paraît « sans accent », celle de l’académicien Jean d’Ormesson qui a considéré cette décision comme « un nouvel enfumage », ou celle de Franz-Olivier Giesbert qui, dans son éditorial du Point, a dénoncé la « déculturation galopante »… Au Liban, des lecteurs se sont insurgés, dans ces colonnes, contre «les grammairiens qui veulent nous voler notre français, le vrai, le pur » et contre « ceux qui ont préféré casser le thermomètre plutôt que de soigner les difficultés en orthographe que connaissent les élèves d’aujourd’hui ». Même les Anglais ont réagi à cette mesure, comme en témoigne l’article de Keith Huston paru dans le New York Times sous le titre : Hats off the circumflex !Mesure impopulaire
Un sondage récent atteste que 82 % des Français (mêmes faibles en orthographe) sont hostiles aux « rectifications » de 1990, que 79 % d’entre eux n’ont pas l’intention de les appliquer et que 85 % d’entre eux redoutent une confusion dans l’esprit des élèves. « Les gens n’ont pas envie que les mots changent d’orthographe, parce que cette orthographe, c’est aussi ce qui les rassemble », a commenté Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française, prenant ainsi le contrepied de son prédécesseur, Maurice Druon, qui avait béni cette initiative.
Cette réticence est compréhensible : à la lecture des « rectifications » contenues dans le rapport, qui concernent plus de 2 400 mots (soit environ 4 % du lexique de la langue française) qui posséderont désormais deux orthographes, il nous apparaît qu’elles ne sont pas conformes à l’ambition affichée et que, loin de promouvoir le français, elles l’appauvrissent.
(mais…)